1963 Morgan Plus 4 Plus

D’abord mal-aimée, la Morgan Plus 4 Plus est devenue extrêmement désirable, comme le rappelle Richard Heseltine en essayant un exemplaire magnifiquement restauré : un des 26 produits. PHOTOS MALCOLM GRIFFITHS


De haut en bas : élégante inscription Morgan dans cet instrument Smiths ; feux arrière de Hillman Imp ; légère, la Plus 4 Plus est très vive.


Rares sont ceux qui se promènent en public en Barbour matelassé, avec un anneau dans les narines et une barbe longue comme un jour sans pain. Notre nouvel ami sait ce qu’il veut. Il est peut-être le 578e individu à interrompre notre séance de photo et à lever les sourcils en apprenant la marque de l’auto. Mais il est sceptique : « Ce n’est pas possible… Je veux dire, elle ne ressemble vraiment pas à une Morgan. » Ce n’est pas faux, mais la Plus 4 Plus n’est pas une Morgan ordinaire.


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1963 Morgan Plus 4 Plus

 

 


Pour commencer, elle a un toit, une structure bois réduite au minimum et, tenez-vous bien, une carrosserie en fibre de verre. Elle est même équipée de vitres descendantes et d’un coffre fermant à clé. N’empêche, ce modèle a été un fiasco lors de son lancement et n’est devenu recherché que récemment ; cet exemplaire a décroché il y a quatre ans une enchère à six chiffres.

Pour comprendre sa place dans l’histoire de la marque, il faut remonter aux années 1960. Une décennie de grande incertitude à Malvern. Aujourd’hui, nous avons tendance à penser que les Morgan sont des vestiges nostalgiques, de vénérables survivantes de l’histoire de l’automobile qui sont restées en production, mais ce

n’était pas le cas il y a 50 ans. Le monde avait changé, mais personne à l’usine de Pickersleigh Road ne semblait l’avoir remarqué. Ce qui n’est d’ailleurs pas tout à fait exact. Peter Morgan, directeur de deuxième génération, était conscient de ce que les produits de la marque risquaient de souffrir de la comparaison avec les modèles plus modernes proposés par MG, Austin-Healey et Triumph. Comme il le rappelait dans une interview de 1984 : « Quand j’ai lancé ce projet, je pensais vraiment que le style années 1930 de nos voitures était sur une pente descendante.

La demande était très faible en Europe et seul le marché américain, qui a absorbé 87 % de notre production en 1962, nous permettait de survivre. » La décision de lancer la Plus 4 Plus a suivi l’étude détaillée d’une EB Debonair, une des kitcars les plus crédibles de son époque. Non pas que son constructeur, EB Plastics, de Tunstall (Stokeon-Trent) ait été un spécialiste des “spéciales” artisanales. En effet, en plus d’une gamme de carrosseries pour bricoleurs, l’entreprise fabriquait aussi des cabines de camions pour des marques comme ERF et Foden.

Impressionné par ce qu’il avait vu, Peter Morgan a demandé à John Edwards, créateur de EB, de concevoir une nouvelle carrosserie qui puisse équiper un châssis de Plus 4 sans modification. Il voulait quelque chose qui ressemble à la Debonair, mais souhaitait aussi que la voiture affiche un air de famille avec les Morgan existantes. Edwards a respecté le cahier des charges. Sur le châssis, la seule modification nécessaire a été la pose d’extensions de tôle d’acier boulonnées sur le quatre-cylindres Triumph 2,1 litres, pour relier les fixations de suspension avant à l’auvent.

Morgan a ensuite envoyé le prototype sur les routes de France et d’Espagne pour des essais d’endurance, ce qui a permis de mettre en évidence un problème qui n’a jamais été vraiment résolu. Dans une Plus 4 de série, les contraintes étaient absorbées par le châssis et la carrosserie à structure bois, au moins en partie. Le tout présentait une certaine flexibilité. Mais là, la voiture était beaucoup plus rigide que ses devancières et la carrosserie en fibre de verre risquait de ne pas résister et de se fissurer sous les efforts.

Cela dit, la Plus 4 Plus a globalement reçu un accueil très chaleureux de la presse. John Bolster était particulièrement enthousiaste après avoir essayé le prototype, en 1963 dans Autosport : « J’ai pris la voiture en main sous une violente averse, atteignant 170 km/h dans les gerbes d’eau. Le caractère contrôlable des Morgan était totalement présent, les courbes rapides étant négociées dans une parfaite confiance. » Il restait toutefois un détail propre à décourager d’emblée l’amateur.

Dévoilée au Salon de Londres 1963, la nouvelle Morgan était extrêmement chère : 1 276 £ alors qu’une 4/4 coûtait 684 £. Il fallait donc en avoir vraiment envie. Malheureusement, les clients ne se sont pas précipités et les premiers soubresauts de commandes se sont vite calmés. Même à l’usine, l’intérêt n’a pas tardé à s’estomper et le dernier exemplaire est sorti des ateliers en 1967, un an avant l’arrivée de la Plus 8 qui allait relancer la marque. Seulement 26 coupés Plus 4 Plus ont finalement vu le jour (plus deux carrosseries), dont neuf sont restés en Angleterre. Dix ont pris la direction des États-Unis et le reste s’est réparti entre le Canada, la Hollande, la Belgique, la Suisse et le Japon.

“Notre” voiture (châssis A5558) est la cinquième fabriquée. Elle a quitté l’usine le 24 décembre 1963 et a été livrée chez Sterne’s Garage, concessionnaire de la marque au Canada et basé en Colombie Britannique. Le créateur de l’entreprise, George Beatty “GB” Sterne, était un pilote amateur qui brillait au Canada et sur la Côte Ouest des États-Unis, bien qu’il ne se soit lancé qu’à 40 ans dans cette discipline. Il a largement contribué à la promotion de la marque en compétition et a gardé la Plus 4 Plus jusqu’en juin 1974, date à laquelle il l’a cédée au Dr David Reid, de Princeton.

Entretemps, il avait fait repeindre la voiture, noire à l’origine, en “Egg Blue”. Le troisième propriétaire, Dennis Glavis, de Santa Monica (Californie) s’est lancé de son côté dans une restauration complète après avoir acheté la voiture en 2004. C’est lui qui a choisi le thème bicolore actuel. En septembre 2014, elle est passée sous le marteau de RM Auctions lors de sa vente de Londres, pour décrocher l’enchère de 128 800 £ [163 000 €] : un prix plutôt élevé pour une voiture dont personne ne voulait 50 ans auparavant !

Pourtant, pour un modèle qui a été historiquement considéré comme une aberration ou, au moins, comme une erreur, il n’est pas surprenant que la demande dépasse aujourd’hui largement l’offre. La Plus 4 Plus est rare, et jolie. D’ailleurs, les photos ne lui rendent pas justice. De près, la voiture est petite, mignonne même. Elle mesure 3,86 m de long et 1,52 de large, donc elle disparaît à côté des voitures modernes.

Certes, le style n’est pas très loin du plagiat ; sous certains angles, l’on retrouve des airs de Jaguar XK 150 ou de Lotus Elite, mais dans l’ensemble les proportions sont superbes et la calandre traditionnelle s’intègre magnifiquement, même si le pavillon arrondi est un peu trop ramassé pour être totalement convaincant. D’ailleurs, à cause de l’ouverture étroite, la Plus 4 Plus n’est pas d’un accès très aisé. L’habitacle est austère, avec des sièges individuels mais un dossier commun, les instruments classiques à fond noir étant faciles à lire derrière le beau volant bois, typique des années 1950.

Ce n’est pas inconfortable mais vous êtes assis un peu haut et, bien que l’espace soit suffisant, une sensation de claustrophobie n’est jamais très loin. La chaleur peut aussi monter car les vitres, dans leur entourage chromé mal adapté, ne s’escamotent pas complètement. Bizarrement, le seul bois présent dans la structure se situe dans le plancher et l’auvent arrière. Sous le capot se trouve un quatre-cylindres 2 138 cm3 de TR4 alimenté à l’époque par deux carburateurs Stromberg.


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Sens horaire : élégant volant bois ; profil rappelant la Lotus Elite ; deux Weber sur le moteur préparé par LawrenceTune ; l’EB Debonair a inspiré le coupé de Peter Morgan.


 Un moteur simple qui, selon le dossier de presse Morgan, développait 105 ch à 4 750 tr/mn, mais dont les spécifications exactes sont incertaines. Le couvercle de culbuteurs LawrenceTune et les deux carburateurs Weber montrent qu’il n’est pas strictement de série. Et à l’usage, il paraît nettement plus vif que la version standard. D’ailleurs, cette Morgan donne une impression plus vigoureuse que les 12,5 s annoncés pour l’accélération de 0 à 100 km/h.

C’est une petite voiture rapide. Et bruyante. Elle a certes du punch à revendre, mais jamais de façon raffinée. Le moteur Triumph permet des reprises dès 1 000 tr/mn en quatrième, mais il n’est jamais “calme”, ce qui ne correspond pas tout à fait à l’idéal GT. De son côté, la boîte Moss est ferme et n’aime pas être brusquée. De plus, vous avez constamment l’impression d’être au volant d’une automobile plus proche de l’avant-guerre que son apparence le laisse supposer, en particulier parce que les suspensions semblent inexistantes.

Pourtant, cette voiture est extrêmement plaisante à conduire, surtout sur les petites routes de campagne. Elle se comporte comme toute autre Morgan de son époque : capable de maintenir un rythme élevé, rebondissant sur ses ressorts à lames, mais toujours extrêmement prévisible. Inspirant confiance, aussi. Les freins (disques à l’avant, tambours à l’arrière) sont très sûrs, le poids à stopper n’étant que de 825 kg. La direction est directe et vous vous sentez en relation étroite avec la voiture : chaque imperfection de la route, chaque changement de surface vous est transmis très directement.


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Comme le soulignait Autocar à l’époque : « Cette voiture est surtout destinée aux bonnes routes à cause d’une suspension très courte et très ferme. » C’est peu de le dire… N’empêche, il faudrait un cœur de pierre pour ne pas tomber sous le charme de ce petit coupé. Mais il n’y a pas de recours contre l’injustice de son destin. Peut-être la Plus 4 Plus était-elle dès le départ vouée à l’échec, bien que Peter Morgan ait insisté pour que l’entreprise ne perde pas d’argent en la produisant.

Il pensait aussi que son style n’était sans doute pas le bon. Non pas parce qu’il ne convenait pas à la vieille garde, mais parce qu’il paraissait trop démodé pour les amateurs portés par le dynamisme des années 1960. Peutêtre avait-il raison : à l’essai, cette voiture est un vrai produit de la décennie précédente. À part un coupé Plus 8 unique et les SLR de compétition, il faudrait attendre le prototype Aeromax présenté en 2005 à Genève pour voir apparaître une autre Morgan à carrosserie fermée.

En fait, en voulant tout concilier, la Plus 4 Plus a manqué toutes les cibles. En effet, ceux qui voulaient des impressions “vintage” attendaient un style qui allait avec ; ils voulaient une Morgan qui ait l’air d’une Morgan. Et elle n’était pas assez sophistiquée pour attirer une nouvelle clientèle. Le patrimoine et le passé sont depuis longtemps les bases sur lesquelles s’appuie Morgan, et la Plus 4 Plus est une anomalie de l’évolution de la marque. Et c’est précisément à cause de ce statut qu’elle nous séduit aujourd’hui. Il y a certainement des leçons à en tirer…


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“Il faudrait un cœur de pierre pour ne pas tomber sous le charme de ce petit coupé”

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