Vous n’avez jamais pensé qu’une Dino 246 pouvait être améliorée? Robert Coucher essaye une version subtilement modernisée, équipée d’un V8 Ferrari de 400 ch construit sur mesure.
O utlaw, hot-rod, resto-mod, “reima- gined”, appelez-les comme vous vou- lez, les versions améliorées de voi- tures anciennes existent depuis l’Avant-Guerre, avec les Specials anglaises ou les street rods américains. Des types en veste en tweed installent des moteurs Bentley 4½ Litre dans des châssis de 3 Litre depuis des décen- nies, et bien des Alfa, Cobra, Jaguar et Triumph ont été sujettes à tous types de modifications. Et je ne parle même pas des Mustang…
La marque qui attire le plus l’attention dans ce do- maine est aujourd’hui Porsche, et plus particulière- ment la 911. Le genre “Outlaw” a débuté avec les Por- sche 356 car beaucoup de modèles étaient vieux, rouillés, usés et sous-motorisés. Les Porsche ont été transformées en hot rods sur la côte ouest américaine depuis les années 50 ; Rod Emory est entré dans la partie dans les années 80 et est reconnu pour avoir in- venté le terme “Outlaw”. Initialement, les mordus de concours étaient contrariés de voir ces voitures alté- rées par rapport à leurs spécifications d’origine, mais les vrais conducteurs appréciaient ce dont une voiture classique était capable avec quelques assistances de conduite, et aujourd’hui Rob Dickinson, le patron de Singer, est mondialement reconnu pour son travail sur ses Porsche 911 “reimagined”.
Bien des marques ont été touchées au jeu des amélio- rations… Mais qu’en est-il de Ferrari ? Il y a des an- nées de cela, l’excentrique collectionneur américain Bill Harrah a installé un V12 de Ferrari 365 GT dans une Jeep (ainsi que la face avant de l’Italienne) et l’a appelé “Jerrari”. Ce bon vieux Bill a aussi modifié une Daytona de 1971 avec des jantes de 9 pouces de large, des ailes élargies et un moteur modifié. Peinte en orange foncé métallisé et portant la plaque “Neva- da H”, elle est connue sous le nom de Harrah Hot Rod. Mais ce sont des exceptions et non pas la règle, et les 911 restent les “mods” les plus courantes.
Alors qu’en est-il de la voiture en photo dans nos pages ? Ferrari a lancé la petite Dino 206 GT en 1968. Propulsée par un V6 2,0 litres de 165 ch, elle est extrêmement rare, avec seulement 152 exemplaires produits. Elle a été amé- liorée pour devenir la 246 GT en 1969, avec un 2,4 litres de 195 ch, une version GTS à toit targa étant dévoilée en 1971. Clairement, la Dino (jamais badgée Ferrari) avait pour cible le marché de la Porsche 911 en étant position- née sous les grosses Ferrari à moteur V12. Ferrari pro- duisit 2295 exemplaires de la 246 GT et 1274 de la GTS, bien loin de la 911, dont à ce jour plus d’un million d’exemplaires ont été assemblés.
La Dino 206 GT fut dessinée par Leonardo Fioravan- ti chez Pininfarina et est considérée comme l’une des plus belles Ferrari de tous les temps. La 206, avec coque et bloc-moteur en aluminium, est la plus re- cherchée, alors que la 246 plus tardive, plus lourde avec sa coque et son bloc acier et son empattement plus long de 60 mm, est la version la plus rapide grâce à ses 30 ch supplémentaires.
La Dino était équipée d’une suspension à double triangulation et d’une répartition des masses à 50/50, plus des disques de freins aux 4 roues et une crémail- lère de direction. Et elle est belle à se damner. Tous les ingrédients sont donc réunis pour en faire une superbe voiture de sport, sauf un : la puissance.
Depuis ces 4 dernières décennies, Mototechnique, la société de Kevin O’Rourke, est l’un des meilleurs spé- cialistes Ferrari britanniques. Kevin (en photo ci-des- sous, à gauche) a restauré, reconstruit et réparé une multitude de Ferrari, d’une 250 GTO aux Enzo en pas- sant par des F40. « J’ai eu une magnifique Dino il y a des années, qui a remporté beaucoup de concours. Elle était parfaite, mais après avoir fait tout ce qui était pos- sible avec, je l’ai vendue, explique-t-il. Les Dino n’étaient pas si chères à l’époque, alors j’en ai acheté une autre, pensant la restaurer. Mais au lieu de cela, j’ai passé 12 ans à la construire selon mes spécifications. En 2015, j’ai terminé ma première Dino V8 avec un moteur de 328 de 300 ch et une boîte à 5 rapports. »
« De notre expérience, aucune Dino 2,4 litres n’a jamais développé plus de 160 vrais chevaux, alors 300 était une amélioration significative, et le châssis s’en accommode facilement. Nous l’avons aidée en installant un arceau entièrement intégré à la carrosserie ouverte de la GTS et elle avait des freins de 360 Modena. Elle se comporte à la perfection. Je l’ai emmenée au ski à travers les Alpes où elle s’est montrée sans ennuis… Et rapide avec ça !» La Dino V8 de Kevin a attiré l’attention de David Lee, un bijoutier et collectionneur de Ferrari basé à Los Angeles. David possède toutes les Ferrari imaginables, mais il a adoré ce que Kevin a fait à la Dino, alors il lui passa commande et lui envoya sa propre GTS, sans moteur ni transmission, depuis L.A. et le projet commença.
Pour cette voiture, Kevin a trouvé un bloc-moteur de Ferrari F40 (gonflé de 2,9 à 3,6 litres), une paire de culasses à 4 soupapes de 348 (avec des soupapes plus grosses que sur les F40 turbocompressées), une injec- tion monopoint et un accélérateur électronique Fer- rari, des bielles en titane et un vilebrequin sur mesure, plus un radiateur et des ventilateurs type F40. Après 3 000 heures de travail et bien plus passées à réfléchir, cette Dino V8 développe 400 ch.
Peut-être qu’il faudrait l’appeler “Ferrari” Dino parce qu’elle a un vrai V8 Ferrari et non plus un V6 partagé avec Fiat. À propos, Kevin n’est pas fan du terme “Out- law”. « Tous les panneaux de carrosserie proviennent de l’usine Ferrari, comme la plupart des composants comme les blocs papillon, le bloc-moteur, la transmis- sion, les freins, les finitions intérieures, ce sont des pièces constructeur autant que possible. Cette Dino n’est pas une Outlaw, c’est un Sleeper. » Ainsi soit-il. Alors : un moteur et un refroidissement de F40, une boîte de vitesses de 328 et des freins de 360, des com- binés de suspensions réglables… Quelles furent les autres difficultés ? David Lee ne voulait pas que sa GTS ouverte ait d’arceau, alors Kevin et son équipe ont soigneusement renforcé le châssis et les points d’attache des suspensions avec des sections rectangu- laires et des soudures continues. La Dino est en confi- guration “chairs and flares”, elle possède donc des extensions de passages de roues et des sièges type Daytona d’origine, avec un intérieur magnifiquement réalisé par Rob, le fils de Kevin. Une autre difficulté fut les phares avant, parce que Lee ne voulait pas de points d’attache visibles pour les couvercles en Plexi- glas. Le capot moteur arrière est aussi en Plexiglas, encadré de fibre de carbone, pour rendre visibles les fabuleuses trompettes d’admissions polies.
Peinte en noir avec son intérieur rouge et noir aux spéci- ficités d’origine, la Dino semble sortie d’usine. À part le capot moteur, le seul indice visuel provient des jantes en alliage plus larges, en 17 pouces. Elles ressemblent aux Campagnolo originales, même si Kevin les a fait faire spécifiquement, et elles donnent sa posture à la Ferrari sans avoir l’air trop modernes et une sacrée présence. Le V8 injection s’élance immédiatement et tient un ralenti entraînant. Avec un vilebrequin plat, il ne sonne pas comme un V8 traditionnel, sa musicalité est dure et efficace, comme celle d’un moteur de course. Mais le son dans l’habitacle n’est pas trop présent grâce à une importante isolation phonique. La position de conduite est basse, bras tendus vers le volant et les sièges confortables sont couverts de cuir souple et aro- matique. L’embrayage hydraulique amélioré est léger et linéaire, et la boîte de 328 semble bien plus coopéra- tive que celle d’origine, assez récalcitrante.
Elle est étonnamment facile à conduire. La Dino dé- colle proprement. Je ne pense pas que son électro- nique permette de caler. Je m’attendais à quelque chose de mélodramatique mais non, c’est un parfait exemple d’ingénierie moderne dans une enveloppe classique. La surprise suivante vient du confort, souple même si la suspension conserve l’équilibre typique d’une Fer- rari. Aucun cognement ne vient s’introduire dans l’ha- bitacle et la voiture semble tendue, élastique et raffi- née, grâce à ses combinés Koni soigneusement réglés et des pneus au profil pas trop bas.
Mais rétrogradez d’un rapport et pressez l’accélérateur à la précision millimétrique, et ce V8 fabuleusement concocté réagit avec une furie contrôlée. Pesant à peine plus de 1 000 kg et avec 400 vrais chevaux (et 312 Nm de couple), cette Ferrari semble souple et agile et ce magnifique moteur n’a qu’une envie : mon- ter jusqu’à sa zone rouge à 8 500 tr/min !
La direction à crémaillère est à assistance électrique, ce qui ne se remarque pas, et les freins sont surdimen-sionnés par rapport à son poids. Cette Dino V8 est considérablement plus raffinée que l’originale et bien mieux assemblée. Bien sûr, elle est incroyablement ra- pide, mais la véritable surprise provient du raffine- ment général. Pour démontrer le tempérament mo- derne de la Dino, Kevin me dit de laisser le régime retomber à 1 000 tr/min en 5e, puis d’accélérer. Effec- tivement, elle reprend sans effort, sans le moindre à-coup de transmission. Voilà une voiture qui va pou- voir affronter sans crainte le trafic quotidien de L.A., tandis que la climatisation (une amélioration signifi- cative) garde le sublime habitacle au frais. Elle reste l’une des plus belles Ferrari à ce jour et propose désor- mais des performances de sportive actuelle.
Cette Dino est un brillant mélange de construction ancienne et de high-tech. La carrosserie est menue, les montants de pare-brise fins, la voiture semble vive et réactive, mais elle demande à être conduite : il ne suffit pas de se glisser dedans et de lui demander d’aller vite. Les passages de rapports hérités de la 328 sont rapides et mécaniques et les freins puissants, mais c’est de vous que dépend leur modulation. Le moteur V8 est une merveille et sa sonorité est incroyable, et ici, pas de tromperie sur l’acoustique. La tenue de route est sans failles et le châssis au raffinement surprenant semble capable de contenir avec facilité les 400 ch.
Cette Ferrari Dino V8 n’est donc pas une “outlaw”. C’est une véritable Ferrari avec la beauté, le raffine- ment et les performances que ce grand constructeur est capable d’offrir à ceux qui auront la chance de se glisser derrière son volant. N
Ferrari Dino V8 1974
Moteur V8 3542 cm3, 2 x 2 ACT, injection monopoint Puissance 400 ch à 8500 tr/min Couple 312 Nm à 6000 tr/min Transmission Manuelle à 5 rapports, propulsion Suspensions AV et AR : doubles triangulations, combinés ressort/amortisseur Direction crémaillère à assistance électrique Freins disques ventilés Poids 1085 kg Vitesse maxi 275 km/h (est.) 0 à 100 km/h 5’’ (estim.)