2019 Bugatti Chiron

2018 Julien Fautrat en Drive-My FR

Bugatti Chiron Conduire la Chiron en Alsace par une journée printanière mais pluvieuse permet de comprendre pourquoi les Bugatti contemporaines ne ressembleront jamais aux autres supercars.


On entend souvent dire que la pluie permet de juger plus rapidement le comportement dynamique d’une voiture de sport. Qu’un revêtement bien mouillé facilite les joies de la conduite par les portières. Pour moi, il s’agit plutôt d’un vecteur absolu de frustration qui vous empêche d’accéder au plein potentiel d’une machine dont le déploiement de la puissance sur les roues arrière, tout comme la tenue du train avant, dépendent fatalement du niveau d’adhérence au sol. Que ce soit en Aston Martin Vantage sous l’orage portugais, en Audi R8 Spyder sous l’averse catalane ou en Renault R.S.01 de course sous la bruine de Jerez, difficile de ne pas ressentir du désespoir lorsque les conditions viennent gâcher l’expérience en la réduisant à un numéro d’équilibriste où l’on est obligé de marcher sur des oeufs.


2019 Bugatti Chiron

2019 Bugatti Chiron

Imaginez donc le même genre de contexte météorologique au volant d’une machine développant 1 500 ch et 1 600 Nm de couple, des valeurs plus de deux fois supérieures à celles de la plupart des supersportives du marché. Une machine dont la section des pneus arrière mesure 35,5 cm de large, et dont la devancière, la Bugatti Veyron, était connue pour sa sensibilité à l’aquaplaning. Pas de doute, ce n’est pas durant cette journée humide en Alsace passée en compagnie de la nouvelle Bugatti que le record absolu de vitesse promis par l’ex-patron Wolfgang Dürheimer lors de sa présentation au Salon de Genève 2016 sera tenté. On commence d’ailleurs à se demander si cette tentative, initialement prévue pour 2018, n’aurait pas été annulée par peur de ne pas pouvoir faire mieux que la concurrence : la Koenigsegg Agera RS vient d’enlever le record de l’ancienne Veyron Super Sport avec ses 447 km/h, et la nouvelle Hennessey Venom F5 prétend pouvoir flirter avec les 500 km/h.

Questionnés à ce sujet, les communicants de la marque de Molsheim s’interrogent plutôt sur la méthodologie choisie. « Tutoyer 450 km/h sur une route du Nevada [NDLR : lieu du record de la Koenigsegg] simplement fermée à la circulation ne cadre pas avec les normes de sécurité en vigueur chez nous », juge le pilote Bugatti (et ancien vainqueur des 24 Heures du Mans) Andy Wallace. « Les risques d’éclatement d’un pneu à ces vitesses imposent de préparer au maximum la tentative, et pour nous l’heure n’est pas encore venue. » Alors que la rumeur annonce une version extrême de la Chiron fin août à Pebble Beach, gageons que Bugatti saura trouver un moment opportun au cours des années à venir pour enfin envoyer la bête à pleine vitesse. Rappelons qu’elle doit rester au catalogue pendant huit ans, soit le temps d’en écouler 500 exemplaires. À ce jour, un peu plus de 300 clients possèdent un bon de commande.

Même lavée par les giboulées d’Alsace, l’excitation à l’idée de passer quelques heures avec une nouvelle Bugatti à trois millions d’euros ne s’estompe vraiment jamais. Par contre l’anxiété ne survit que quelques minutes à son volant.

Malgré ses plus de deux mètres de large, la Chiron procure les sensations d’une voiture étrangement compacte une fois en mouvement sur la route. La piètre visibilité périphérique de son aïeule laisse la place à un habitacle dont les angles morts vers l’extérieur se réduisent au maximum (ce que ne laissaient pas du tout imaginer le capot moteur et son arche dorsale évocatrice de la Type 57SC Atlantic). Et, comme l’amortissement, la transmission et le raffinement intérieur relèvent du domaine des GT les plus polyvalentes du marché, vous vous retrouvez à conduire paisiblement cette supercar de 1 500 ch au régulateur, deux doigts sur le volant. Sans le moindre à-coup de boîte ni la plus insignifiante des secousses quand vous faites varier la pression sur la pédale de droite, pourtant reliée aux 1 500 ch et aux 1 600 Nm.


2019 Bugatti Chiron

2019 Bugatti Chiron

Remarquons au passage que le W16 ne développe jamais que 94 ch par cylindre, une puissance au litre inférieure à celle d’une petite Mercedes-AMG A 45. Bugatti se vante ainsi de pouvoir dépasser sans souci les 300 000 km avec ce moteur à l’architecture si particulière. Le concept technique de la Chiron représente l’antithèse absolue de l’AMG Project One et son V6 1,6 litre à changer tous les 50 000 km. D’ailleurs, la garantie constructeur de la Chiron couvre quatre ans et 50 000 km. Combien de Chiron dépasseront ce kilométrage au cours de leur existence ?

Les performances théoriques ahurissantes de la Chiron s’accommodent aussi de l’humidité alsacienne. Sur le bitume d’un col s’asséchant à peine, les premiers enchaînements de virages négociés à allure enjouée permettent de découvrir une direction dont la rapidité renvoie à de véritables supersportives. La réactivité de l’ensemble et cette sensation gratifiante de disposer d’un train avant tranchant et précis laissent vraiment imaginer un comportement dynamique infiniment plus communicatif que celui de la Veyron. Surtout, la motricité ne semble jamais faire défaut dans ces conditions pourtant piégeuses. « Tant que les pneus se situent à une température d’au moins 23 degrés, vous pouvez faire ce que vous voulez avec l’accélérateur », précise Andy qui sent bien qu’il me tarde d’expérimenter les capacités d’accélération de sa machine.

La boîte DSG à 7 vitesses étonne aussi par son excellente rapidité quand vous basculez en mode manuel, alors que les grondements polyphoniques produits par le W16 se révèlent intrigants et, dans un sens, fascinants à écouter. Ils témoignent avec clarté (et en permanence) de l’ingénierie pharaonique concentrée dans la Bugatti. Des investissements colossaux injectés par le Groupe Volkswagen dans ce projet fou de fabriquer la mécanique la plus sophistiquée de tous les temps. Depuis l’intérieur de la Chiron, je ne souhaiterais pour rien au monde entendre les hurlements cristallins d’un V12 atmosphérique. Cela paraîtrait bien trop déplacé dans cet univers où la maîtrise prime sur l’exubérance. Les deux notions se confondent pourtant lorsque vous ouvrez en grand les gaz pour la première fois, laissant cette mécanique si alambiquée extraire tout le potentiel inscrit dans sa fiche technique (0 à 100 en 2’’4, 0 à 200 en 6’’1 et 0 à 300 en 13’’1). Une fois dans la plage moteur où les deux gros turbos ajoutent leur souffle à celui des deux petits, la poussée effarante brouille votre vision et la notion du temps. Même si vous relâchez tout de suite l’accélérateur, le compteur affiche déjà plus de 260 km/h.

Et quand vous freinez à cette vitesse, la course de la pédale, sa consistance et sa puissance d’arrêt paraissent exactement adaptées aux performances singulières de la Chiron. En Veyron Grand Sport Vitesse (1 200 ch) au Castellet, nous atteignions déjà 330 km/h avant de sauter sur les freins à Signes. Andy estime qu’en mode Handling sur le même tracé, la Chiron devrait pouvoir dépasser les 360 km/h dans la ligne droite du Mistral sans chicanes (pour rappel, une LMP1 du Mans n’y dépasse pas 340 km/h).

Compte tenu des aptitudes entrevues lors de notre premier essai et lors de cette balade pluvieuse en Alsace, il nous tarde de mettre enfin la Chiron sur le Paul Ricard pour explorer plus en profondeur son potentiel dynamique.


Par Cédric Pinatel Photos : Julien Fautrat


Un V12 atmosphérique paraîtrait déplacé dans cet univers où la maîtrise prime sur l’exubérance. Vous vous surprenez à conduire paisiblement cette supercar de 1 500 ch au régulateur, deux doigts sur le volant.

Ci-dessus et à droite : au bas des escaliers du château St-Jean à Dorlisheim, la Chiron déploie son style unique, mélange de raffinement et d’agressivité. Ci-dessous et à droite : si l’on a pu croire au début que la Chiron ressemblait beaucoup à la Veyron, lorsque vous la croisez, vos impressions premières volent en éclat. C’est une tout autre voiture.


Caractéristiques 2019 Bugatti Chiron

Moteur W16, 7 993 cm3, quadri-turbo

CO2 516 g/km

Puissance 1 500 ch à 6 700 tr/mn

Couple 1 600 Nm de 2 000 à 6 000 tr/mn

0-100 km/h 2’’4 (constr.)

V-Max 420 km/h (limitée électroniquement)

Poids 1 995 kg (1,33 kg/ch)

Prix de base 3 000 000 e


 +  Facilité de conduite désarmante, performances terrifiantes

 –  Il faudrait vraiment l’essayer sur circuit

L’avis d’Drive-My : 4.8

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