1967 Lamborghini Marzal 6 cylindres en ligne 1 964 cm3

2018 Max Serra & Drive-My

Rarement exposé en public, nous avons la chance de prendre le volant de l’un des concept cars les plus célèbres au monde. Texte Massimo Delbò Photos Max Serra


EN  TOUTE TRANSPARENCE


 1967 Lamborghini Marzal

 

1967 Lamborghini Marzal extérieur


Monaco, dimanche 7 mai 1967. Le soleil brille en ce début d’après-midi, à quelques minutes du départ du Grand Prix de Formule 1. Son Altesse Sérénissime le Prince Rainier III se glisse dans le siège conducteur, prêt à prendre le départ de son traditionnel tour d’avant course. Installée à sa droite, sa femme, la Princesse Grace.

Les photos du couple à bord de l’auto feront le tour du monde dès le lendemain. Ferrucio Lamborghini est comblé : ce coup marketing, c’est du pain béni pour son entreprise. Automobili Lamborghini n’existe que depuis quatre ans mais connaît déjà un certain succès. La voiture ornée du blason de la firme qui parade sur la piste est la dernière création du jeune designer Marcello Gandini pour la Carrozzeria Bertone. Elle se nomme Marzal et va bientôt devenir l’un des concept cars les plus célèbres au monde.

Son patronyme fait référence à un taureau de combat, comme ce fut le cas pour la Miura avant elle. Ce vaisseau spatial qui semble entièrement fait de verre compte quatre places et est animé par un moteur six cylindres de 2 litres en position centrale arrière. Lors de sa présentation au Salon de l’Auto de Genève au mois de mars précédent, la Marzal a fait des remous. Les visiteurs se sont trouvés incrédules au moment de découvrir ses surfaces inhabituelles : 4,5 m2 de verre qui transforment le cockpit et ses immenses portes en aile de mouette en une bulle transparente. « Son succès lors du salon a été un grand soulagement pour nous, raconte Marcello Gandini. Le succès d’un concept se mesure à sa capacité à laisser ceux qui la contemplent bouche bée.

J’étais inquiet, car après des mois passés à tra vailler dessus jour et nuit, lorsque la voiture est arrivée à G enève, j’ai vu le type qui passait le balai sur le stand s’en approcher. Je m’en souviens encore, il s’est allumé une ciga rette et l’a observé sous toutes les coutures en secouant la tête d’un air désapprobateur. » Le dessin de la Marzal remonte à l’été 1966 quand Gandini, fraîchement auréolé de son succès avec la Miura, a commencé à imaginer un concept car pour l’année suivante.

Frapper un grand coup à Genève était une tradition chez Bertone et Gandini voulait proposer quelque chose de radicalement différent des voitures de sport contemporaines. « La beauté d’un concept car, c’est l’immense liberté qu’il donne au designer, explique Gandini. Il suffit de se jeter à l’eau sans avoir trop de règles à respecter. Je voulais créer une quatre place avec de grandes surfaces vitrées et des portes en aile de mouette, pour donner le meilleur accès à toutes les places.

J’ai fait quelques esquisses et j’ai appelé Sant’Agata pour demander l’assistance de mon ami, l’ingénieur Paolo Stanzani. » Ce que Gandini voulait, c’était un nouveau moteur, plus petit, afin de pouvoir le positionner en transversal arrière. C’est ainsi qu’est né un six cylindres en ligne de 2 litres, qui n’était autre que la moitié du V12 maison. « Nous avons été impliqués dès le début du projet Marzal car nous devions fournir l’ensemble moteur boîte » , se souvient

« La beauté d’un concept car, c’est l’immense liberté qu’il donne au designer, il suffit de se jeter à l’eau sans avoir trop de règles à respecter »


 1967 Lamborghini Marzal turn on headlights

 

1967 Lamborghini Marzal allume les phares


 1967 Lamborghini Marzal parts

 

Sens horaire  en partant du haut Les portes furent difficiles à réparer. La mécanique est une œuvre d’art. L’ordre des rapports est inversé.  La faillite de Bertone a entraîné la vente.  Toujours plus  d’hexagones


 1967 Lamborghini Marzal driver

 

Pilote de la Lamborghini Marzal 1967


 “Voyager à bord de la Marzal, c’est affronter le trafic dans une grande bulle de savon un peu bruyante à quelques centimètres du bitume”

Gian Paolo Dallara, ancien directeur technique de Lamborghini, et chef de l’équipe projet qui créa la Miura. « Nous étions jeunes et tout auréolés du succès de la Miu ra. Stanzani et moi-même, ainsi que Gandini pour Ber tone, avions la capacité de faire quelque chose de vraiment novateur. Il fallait libérer de l’espace pour créer deux places à l’arrière et le V12 n’aurait jamais pu tenir. Nous avons demandé à l’entreprise de Bologne qui avait coulé les blocs de la Miura d’en modifier un pour en faire un six cylindres. »

À ce jour, il s’agit encore du seul et unique moteur à six cylindres à être sorti de Sant’Agata. Il est fondu d’un tenant avec la boîte de vitesses, et son installation n’a pu se faire qu’en inversant la tringlerie, si bien que la première se situe en bas, tout à droite. Évidemment, l’élément le plus caractéristique de la Marzal, ce sont ces portes en aile de mouette, qui mesurent toute la longueur du cockpit et permettent l’accès simultané à bord de quatre personnes. En raison de leur taille et de la quantité de verre utilisée, il a fallu déployer des trésors d’ingénierie pour qu’elles fonctionnent correctement.

« L’ouverture des portières était l’un de nos gros défis tech niques sur la Marzal, explique Gandini. Il n’existait pas de vérins suffisamment robustes pour maintenir les portes ou vertes en toute sécurité. Nous avons utilisé des crémaillères de direction modifiées, avec un système de poulies et de ressorts. C’était une solution lourde, encombrante et diffi cile à régler, mais elle s’est avérée plutôt fiable. Une autre question latente était celle de la sécurité en cas de retourne ment, mais dans la mesure où il s’agissait d’un exemplaire unique, nous ne nous en sommes pas tellement souciés. »

Après le Salon de Genève, la voiture fut envoyée à Sant’Agata pour être analysée. Elle est construite sur une structure rallongée de Miura, un châssis ayant été fourni par Marchesi à Bertone. Son numéro de série n’est pas répertorié dans les archives de la marque et les modifications apportées sont nombreuses.

L’arrière est par exemple composé d’un berceau avant de Miura installé à l’envers. Bien que Gandini affirme que la Marzal n’a jamais été autre chose qu’un concept et que sa production n’a jamais été envisagée, il est tout de même probable que les ingénieurs aient au moins réfléchi à l’hypothèse. Ferruccio Lamborghini lui-même avait en tête d’étendre sa gamme en proposant un véhicule moins coûteux que la Miura et doté de quatre places. Cette vision se concrétisera en deux temps, d’abord avec l’Espada pour les quatre places puis avec l’Urraco, plus abordable, avec son moteur V8. « À mes yeux, la Marzal est l’une des plus belles voitures de son époque, affirme Gian Paolo Dallara.

L’idée de cette 2+2 était séduisante, mais nous avons vite convenu qu’il ne serait pas possible de la produire. Je me souviens l’avoir conduite quelques kilomètres, doucement, juste pour la sentir. Elle était très longue et le centrage des masses, tout comme la mécanique, était très loin d’être au point, Bob Wallace n’ayant eu qu’un temps limité pour s’y pencher. La réalité c’est que Lamborghini n’était encore qu’une toute petite en treprise en 1967 et que toute son énergie était consacrée au développement et à la production de la Miura, ne laissant que peu de ressources à d’autres projets. » « La motorisation posait un vrai problème. Le 2 litres n’aurait pas fourni la puissance que l’on était en droit d’attendre d’une Lamborghini, avec ses maigres 177 chevaux.

C’était nette ment moins que ce que nos clients auraient pu trouver chez nos concurrents et pour ne rien arranger, les coûts de déve loppement auraient été prohibitifs. Nous avons supposé que nos clients ne voudraient pas dépenser plus pour un modèle doté d’un six cylindres que pour celui équipé d’un V12, et à ce titre nous ne sommes pas allés plus loin. » Malgré cela, la voiture fut envoyée à Monaco à l’occasion du Grand Prix. L’année précédente, la Miura avait fait sensation dans la principauté et Ferrucio était friand de ce genre de publicité. « Nous avions acheminé la Miura par la route, se souvient Dallara, mais la Marzal fut transportée. Elle aurait été incapable de parcourir la distance par ses propres moyens.

L’objectif principal était de la stationner devant le Grand Hôtel de Paris. Comment Ferruccio, un homme visionnaire mais qui n’avait pas ses entrées dans le gotha, s’y est pris pour installer le Prince au volant, sans être certain que la voiture puisse compléter un tour de piste, cela restera pour moi un mystère. » Il n’y a aucune trace officielle, mais l’historien de la marque Stefano Pasini pense que l’homme à l’initiative de ce coup d’éclat n’est autre qu’Étienne Cornuille, un aristocrate français qui accompagnait Lamborghini depuis ses premiers pas dans l’automobile. Après Monaco, la voiture fut renvoyée à Sant’Agata pour de nouvelles analyses avant d’être rendue à Bertone.

« Nous devions faire le plein et j’étais curieux de la conduire, alors j’ai pris le volant de la Marzal pour l’emmener à la station-service d’un petit vil lage à côté de Turin, se remémore Gandini. L’expression sur le visage du pompiste fut sans doute le moment le plus mémorable de cette excursion. » En octobre 1967, la Marzal est exposée sur le stand Bertone du salon d’Earls Court à Londres, mais elle commençait à avoir fait son temps. Après une dernière apparition à Bruxelles, il était prévu qu’elle soit envoyée en tournée promotionnelle aux États-Unis.

Acheminée à Gênes pour être expédiée par bateau, elle n’embarquera jamais, en raison de formalités mal effectuées et de taxes non acquittées. La Marzal fut donc placée en retenue douanière et séjourna plus d’un an sur les docks, livrée aux embruns.


1967 Lamborghini Marzal

 

Le coloris de la voiture, tout ce verre, et ces sièges aux reflets métalliques concourent à transformer un temps maussade en une journée ensoleillée


Spécifications Lamborghini Marzal 1967

Moteur 6 cylindres en ligne 1 964 cm3, 2 x 2 ACT, 3 carburateurs Weber 40 DCOE 

Puissance 177 ch à 6 800 tr/min 

Couple 178 Nm à 4 600 tr/min 

Transmission manuelle à 5 rapports, propulsion  Direction crémaillère 

Suspension AV et AR double triangulation, ressorts hélicoïdaux, amortisseurs télescopiques, barres antiroulis 

Freins AV et AR disques 

Poids 1 210 kg


l’air iodé de la Méditerranée n’ont pas manqué de produire leur effet, si bien que lorsque la Marzal retrouva ses propriétaires, elle avait perdu de sa superbe. Remisée dans un hangar, elle y séjourna quelques années avant que Bertone ne se décide à la rendre présentable de nouveau pour qu’elle puisse figurer au musée de la firme. Ainsi, après quelques petites réparations, elle reçut une peinture neuve ainsi qu’un nouveau volant et un nouveau pommeau.

Et c’est là que l’histoire s’arrête. Du moins, jusqu’en 2011. La Marzal est alors proposée à la vente, avec d’autres prototypes, par RM Auctions à la Villa Erba. Cet épisode fait suite à la faillite de la Carrozzeria Bertone et avait pour objet d’amasser des fonds en vue de payer les salariés. Achetée par un collectionneur européen, la Marzal s’avéra ne pas être en grande forme : il a fallu cinq années de travail pour lui rendre son aura des premiers jours.

Toute la partie basse de la carrosserie était gagnée par la corrosion, et il était clair que l’habitacle avait souffert d’infiltrations d’eau lors de son séjour à Gênes : les garnitures en cuir étaient très abîmées. Quant à la mécanique, sa dernière révision devait remonter à trente ans. Celle
ci fut donc intégralement rénovée, tous ses composants (hormis le bloc spécifique) étant communs à d’autres modèles de la marque.

L’aspect le plus difficile de cette restauration fut de réparer les dégâts causés par la rouille, tout en conservant le plus d’éléments de carrosserie d’origine possible, la Marzal étant en acier à l’exception du capot moteur. Certains recoins ont permis de redécouvrir des traces de la peinture d’origine et la voiture a ainsi retrouvé sa teinte initiale.

Il a également fallu entièrement regarnir l’intérieur pour reproduire l’aspect argenté de la sellerie d’origine. Les phares rouillés ont pu être remplacés par un modèle conforme chez Marchal et, fort heureusement, les vitrages étaient restés intacts malgré les années.

« L’étape la plus chronophage fut finalement de restaurer et de réassembler les pare-chocs, dans la mesure où ils sont composés de petites portions de caoutchouc et de simili cuir, qui sont toutes collées ou vissées au support »., précise le curateur de cette collection. S’installer à bord, après avoir ouvert la lourde portière, s’apparente à une plongée dans un bain de lumière. Le coloris de la voiture, tout ce verre et ces sièges aux reflets métalliques concourent à transformer un temps maussade en une journée ensoleillée. Aussi agréable cet intérieur soit-il, on s’y sent très vulnérable.


 1967 Lamborghini Marzal extérieur

 

1967 Lamborghini Marzal extérieur


Le six cylindres démarre au premier coup de clé et trouve rapidement son ralenti, plus docile que le V12 de la Miura à ce titre, mais évidemment moins sonore. L’embrayage est léger, mais il faut garder à l’esprit l’étrange disposition des rapports. Sous les 2 000 tr/min il ne se passe pas grand-chose et les trois carburateurs Weber 40 DCOE se montent plutôt récalcitrants, mais une fois ce cap franchi, la sonorité du moteur devient plus profonde et son fonctionnement plus équilibré.

La mécanique est encore en rodage, donc nous n’irons pas chercher la zone rouge, mais l’on devine un potentiel malgré le peu de mise au point dont il a bénéficié. Comme sur la Miura, il faut de la poigne au moment de passer les vitesses, mais la suspension s’avère moins raide et la direction moins directe que sur cette dernière. D’une manière générale, les réactions de la Marzal sont un peu moins instantanées, ce qui correspond plutôt bien à sa nature, moins radicale, de coupé à quatre places.

La visibilité arrière est quasi-nulle, mais le pare-brise et les vitrages latéraux offrent une vue sans comparaison. Voyager à bord de la Marzal, c’est affronter le trafic dans une grande bulle de savon un peu bruyante à quelques centimètres du bitume. Heureusement pour moi, la météo est fraîche, mais j’imagine aisément qu’en plein été l’habitacle argenté puisse devenir rapidement insupportable. La Marzal n’ayant pas été développée jusqu’au bout, elle n’est pas vraiment apte aux longs trajets.

Néanmoins, elle donne l’impression d’avoir posé de bonnes bases et c’est finalement la sonorité du moteur qui laisse le plus à désirer. À ce stade, je ne serais pas contre l’idée de poursuivre ma route jusqu’à Monaco pour y compléter un tour de piste en hommage. Vous l’aurez compris, la Marzal a fini par donner naissance à un modèle de série : l’Espada, lancée en 1968, avec son V12 à l’avant et son architecture 2+2.

« Une voiture magni fique, mais nettement plus conventionnelle, selon Dallara. Nous avons essayé de retenir le plus possible de la Marzal, mais le choix de placer le V12 à l’avant n’a pas été sans conséquences sur les volumes et les proportions. Nous avons fait notre possible pour conserver les portes en aile de mouette, mais elles étaient lourdes, complexes et coûteuses à produire.

Et avec les aménagements à apporter à la hauteur de capot, elles auraient eu l’air de postiches mal ajustés. » Voir la Marzal, qui a remporté en septembre dernier le titre de Best of the Best au Lamborghini Concours de Neuchâtel, être soignée et appréciée comme il se doit est une chose réconfortante. Elle nous ramène instantanément à cette journée incroyable de 1967, où elle a conquis le couple le plus glamour du moment dans les rues de Monaco et fait tourner toutes les têtes, devenant ainsi l’un des concept cars les plus célèbres.

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