David Coulthard

Multiple vainqueur de Grand Prix, personnalité de la télévision en Angleterre et entrepreneur, David Coulthard a signé un livre sur le succès dans une vie qui a toujours tourné autour des voitures.

« Valtteri. Valtteri ! Valtteri ! »

David Coulthard fait une pause pour saluer l’une des stars de l’équipe Mercedes de Formule 1 qui passait juste par là faire son jogging. Telle est la vie à Monaco. « Il a son casque sur les oreilles, perdu dans ses pensées », indique David, qui a abandonné l’idée de héler Valtteri Bot- tas. « Je vais être honnête – je ne veux pas que ça ait l’air irrespectueux –, mais il court de façon très efféminée… »

En parlant avec David Coulthard, on n’est jamais à l’abri d’une boutade, sur- tout depuis qu’il a pris sa retraite de la F1. Il a 47 ans et ça fait dix ans qu’il   a abandonné les cockpits des F1 pour une vie civile. DC, comme on le sur- nomme, est toujours présent dans les paddocks en tant que commentateur pour la télévision britannique et est tou- jours aussi célèbre qu’avant. Peut-être même plus.

Mais sa vie ne s’arrête pas à cette fonction. Durant notre conversation il évoque les voitures qui comptent le plus pour lui – et comment sa modeste collection est sur le point de devenir moins modeste. Il nous rappelle aussi indirectement pourquoi il est si respecté et aimé, malgré (ou plutôt grâce à) son franc-parler concernant ses propres aptitudes, bien loin des pilotes à l’ego démesuré.

Coulthard est dans une bonne position maintenant. Sa carrière dans les médias est florissante grâce aux parts qu’il dé- tient dans la société qui produit ses émissions sur la F1. Celle-ci a donné au pilote qui a remporté 13 Grands Prix le goût des affaires. Au point qu’il a écrit un livre à ce sujet.

The Winning Formula [La Formule ga- gnante] est sous-titré “L’encadrement, la stratégie et la motivation, façon F1”, ce qui en dit un peu plus sur son contenu (en anglais). Il n’y évoque pas ses bolides, mais une philosophie très personnelle de la vie professionnelle, celle d’un honnête homme qui a traversé le monde de la F1 pendant deux décennies guidé par la simple éthique du travail et persuadé que cela puisse se traduire directement dans le monde des affaires. En bref, c’est un guide de motivation pour les entrepreneurs qui cherchent une inspiration dans le sport. Un peu sec? Ce pourrait l’être si le style vi- vant de David et ses allusions à sa riche car- rière en F1 (dans tous les sens du terme) ne le rendaient pas passionnant. Et, plus perti- nent encore pour nous, ce livre apporte un aperçu de la psychologie fragile d’un pilote de course brillant et courageux qui, dès ses débuts, était conscient de ses propres li- mites. C’est ce sentiment d’insécurité et sa force de volonté qui rendent le personage si fascinant.


David Coulthard

Comme le disait régulièrement un collègue : « Si seulement il pouvait être quelques dixièmes plus rapides… » Oubliez les paillettes de Monaco : il y a quelque chose d’authentiquement rafraîchissant chez Coulthard. Fils d’un transporteur routier écossais qui avait réussi, DC a brillé à l’adolescence en kart puis en formules monoplaces avant d’at- terrir en 1993 chez Williams comme pilote d’essai de F1 (à l’époque de leur toute-puissance). L’année suivante il fit ses débuts en GP dans les conditions les plus délicates, après la mort d’Ayrton Senna à Imola. La façon dont il s’est ac- commodé de la pression était un témoi- gnage de la maturité de celui qui portait de nombreux espoirs.

 

Passer chez une médiocre équipe McLaren en 1996 semblait être un pas en arrière (Damon Hill a remporté le titre pour Williams cette année-là), mais c’était un changement motivé sur le long terme. Il est arrivé en même temps qu’Adrian Newey et a profité de l’avan- tage apporté par cet ingénieur de génie et de la force croissante des moteurs Mercedes qui ont fait revenir McLaren au sommet. En 9 saisons, DC a rempor- té à 2 reprises les GP d’Angleterre et de Monaco, termina à 3 fois 3e du Cham- pionnat et fut vice-champion derrière Michael Schumacher en 2001.

Quand McLaren finit par le remplacer en 2005, il a connu un long été indien au sein de la nouvelle équipe Red Bull Ra- cing. Durant les 4 saisons qui ont suivi, s’il n’était plus au sommet de sa carrière, DC a significativement contribué à la croissance de l’équipe – de nouveau associé à Newey – qui remportera plus tard 4 titres consécutifs avec Sebastian Vettel. Il a pris dignement sa retraite de la F1 (avec un compte en banque bien rempli) fin 2008.

Les voitures et la course automobile ont toujours fait partie de sa vie. « Ça m’a toujours intéressé, dit-il. J’ai grandi à une époque où il y avait peu de chaînes de télévision. Mon père avait rempli la librairie de notre salle de jeux de livres sur la course automobile et sur la guerre. Il était un champion de kart écossais, mais son père est mort quand il avait 14 ans et il a dû arrêter. »

Dans son livre, il évoque comment l’in- fluence de ses parents l’a guidé et com- pare la carrière des pilotes de F1 avec la vie d’un éphémère… « Mon père disait toujours que quand on accède à la F1, il faut avoir un plan pour la suite, car si vous avez de la chance, votre carrière dure 10 ans. J’ai eu une chance in- croyable, la mienne en a duré 15. »

Cette approche terre à terre a dirigé ses choix, en témoigne la voiture avec la- quelle il pose pour notre photo. Il a acheté cette Mercedes-Benz 280 SL ”Pagode” en 1995 quand il a signé son premier grand contrat en F1.

« J’aurais pu m’acheter un coupé Papillon à 120 000 livres, mais à l’époque mon contrat chez Williams était d’un demi-mil- lion de livres et je me rappelle m’être dit que ça ferait 1/5 de mon salaire dans une voiture. Si j’avais dit ça à mes parents, ils m’auraient pris pour un fou. »

« Mais dès que j’ai eu un salaire au-dessus de la moyenne, j’ai voulu acheter une voi- ture de collection. J’ai toujours été un grand fan de Mercedes et je voulais plus une voiture ancienne qu’une voiture de sport. Je me rappelle l’avoir conduite jusqu’à Silverstone et l’avoir montrée fiè- rement à mes parents. C’est un parfait exemplaire de 280 SL, immatriculé pour la première fois en avril 1971 – je suis né en mars 1971. Je suppose que les voitures classiques, c’est plus mon truc. »

Cette affirmation est rapidement balayée du revers de la main. « J’ai passé com- mande pour une Aston Martin Valkyrie, parce que ça va clairement être quelque chose de spécial. Est-ce que je vais un jour l’exploiter sur route? Bien sûr que non. Mais la raison pour laquelle je peux me l’offrir, c’est que j’ai piloté pratiquement toute ma carrière dans des voitures d’Adrian Newey! Alors, le moins que je puisse faire c’est d’en acheter une, parce que c’est lui qui l’a conçue. »

« J’ai aussi passé commande pour une Mercedes-AMG Project One, parce que je suis ambassadeur Mercedes, et encore une fois parce que ça va être quelque chose d’unique, avec un moteur hybride de F1. Je crois dans ces deux projets et je suis cu- rieux. Je ne veux pas être curieux comme un spectateur, je veux être un acteur : sa- voir si elles sont excitantes, amusantes et riches en émotions. »

Pareilles extravagances ne ressemblent pas à un homme qui n’a jamais cherché à atti- rer la grande vie. En tant que superstar de la F1, il préférait dormir sur les circuits dans son motor-home bien équipé plutôt que dans les grands hôtels. À l’époque, le luxe était une distraction.

C’est surprenant comme les jeunes pi- lotes de course – ceux qui sont vraiment bons – n’ont que peu d’intérêt pour les voitures de route. Ils ne se concentrent que sur leur vocation. « Je fais définitive- ment partie de cette catégorie. Oui, vous pouvez avoir des distractions – des jouets comme des bateaux et des voitures – mais si vous vous intéressez vraiment à elles, vous ne serez pas concentré à 100% sur ce que vous avez à faire. »

Depuis ses débuts, le niveau d’engage- ment de Coulthard était inhabituel, même dans une sphère où on considère celui-ci comme acquis. « Mon père net- toyait le grenier l’autre jour et est tombé

sur mes carnets de l’époque du kart. Je me notais moi-même. C’était mon autoana- lyse. Je ne pense pas m’être jamais attri- bué un 10 sur 10 : parfois 5, parfois 1… Peut-être que j’avais conscience de de- voir travailler plus que les autres, naturel- lement plus talentueux. »


David Coulthard 2

Coulthard ne se rappelle pas du moment précis où il s’est dit qu’il ne serait jamais le meilleur, mais cela ne le rendait pas pour autant insensible aux suggestions qu’il ne puisse pas être un pilote de pointe. Toutes ces années à courir dans la même équipe que le double champion Mika Häkkinen et à lutter contre le grand Michael Schuma- cher ont dû laisser des traces.

« En tant que commentateurs nous de- vons faire des jugements rapides basés sur les performances des pilotes. Nous nous basons sur son potentiel – tout le monde a du potentiel. Nous disons : “Il me semble que ce pilote est plus complet que ce- lui-ci”. C’est vexant pour le type qui est jugé moins complet et ça a probablement été vexant pour moi. »

Coulthard s’est fait une raison sur sa place en F1 il y a des années. « Dans le sport, vous vous concentrez à toujours améliorer votre confiance et votre engagement. C’est ce qui m’a toujours fait avancer. Certains sont rapides avec n’importe quelle voiture, d’autres, comme moi, ont besoin de sensa- tions spécifiques pour être en confiance. Dans ces moments, je pense que j’étais aussi bon que n’importe qui. » Et il l’était, dans ses bons jours, il pouvait battre Häkkinen et Schumacher.

« Les pilotes exceptionnels sont claire- ment capables du meilleur, quelles que soient les conditions. Ils n’ont pas vrai- ment beaucoup de mauvais jours. Mi- chael n’en avait pas, c’est sûr. Par contre, il a eu quelques moments où vous vous disiez “Mais p****n, tu pensais à quoi? Il y a un règlement. Ce que tu viens de faire c’est de le jeter par la fenêtre et d’appliquer ton propre code sportif, que nous ne trouvons pas très sportif…” Ça gâchera toujours ses grands succès, mais ça l’a mené au sommet. »

Coulthard n’a jamais été – et n’aurait ja- mais pu être – aussi impitoyable. Il se sou- vient de sa F1 préférée, la Williams FW17 et son évolution 17B de 1995, et même son autoanalyse est critique : « Voies larges, pneus slicks, V10 Renault – et elle était réactive, sourit-il. J’ai signé 4 poles de suite [Monza, Estoril, Nürburgring et Aida] alors que je n’étais pas connu pour être bon en qualifications. »

« C’était une véritable voiture de Grand Prix. Plus tard, avec les pneus rainurés chez McLaren, nous avions souvent la voiture la plus rapide, mais elle était tou- jours un peu sous-vireuse. OK, vous pouviez signer d’excellents chronos, mais p****n, c’était ennuyeux quand on est à la recherche de la perfection. Je pense que je l’étais toujours. Peut-être que rechercher la perfection était néga- tif. Peut-être que les types qui étaient plus complets auraient juste dit “C’est comme ça, je vais juste rouler avec”, alors que j’aurais dit “Voici ce que je veux et elle ne me l’offre pas”. Peut-être que je ne l’ai pas compris assez tôt. » Certains fragments de sa personnalité obs- tinée de pilote de F1 n’ont jamais changé.

« Je vis à Monaco depuis 20 ans, mais je ne parle pas français. Ça ne m’intéresse pas parce que ça n’améliore pas mes affaires et ne me rend pas plus rapide », dit-il sans ménagement. Cette concentration, cette quête de « la meilleure version de soi- même », comme il le dit, le poursuit tou- jours dans sa nouvelle vie d’entrepreneur en herbe. Mais il n’est pas aveuglé par l’ambition pour autant, ses profondes ori- gines écossaises y veillent. Et toutes les hy- percars du monde n’y changeront rien.

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