Hannu Mikkola rallye safari 1987 Audi 200 Quattro C3 groupe A au Kenya

2018 Journal 0octane37 & Drive-My

Voici trois décennies que Hannu Mikkola a remporté son dernier titre de Champion du Monde des rallyes. Glen Waddington le retrouve au Kenya, avec l’Audi 200 Quattro qui l’a mené jusqu’à la victoire.


Hannu Mikkola au Kenya Safari Rally retrouvailles avec son Audi 200 Quattro


 1987 Audi 200 Quattro C3

 

Hannu Mikkola rallye safari 1987 Audi 200 Quattro C3 groupe A au Kenya


Ce n’est pas tous les jours que l’occasion se présente de rencontrer un ancien pilote de rallye sur le lieu de ses exploits, et en présence de sa monture d’époque. Je n’ai donc pas eu une seconde d’hésitation avant d’embarquer en direction du Kenya pour y retrouver Hannu Mikkola ainsi qu’une Audi 200 Quattro.

Je rejoins Mikkola à bord du petit Cessna qui nous mène vers notre point de chute, où il semble quelque peu préoccupé par l’état de notre aéronef. De mon côté, je me délecte des paysages que nous survolons : des plaines de poussière rouge, des villages Masaï, le tout dominé par l’immensité du Mont Kilimandjaro.

Notre destination : les Monts Taita, qui émergent de la plaine du sud-est du Kenya, 3° au sud de l’équateur. Mais avant de nous intéresser davantage à l’endroit où nous allons, parlons d’abord de pourquoi nous y allons. Cette année marque le trentième anniversaire de la dernière victoire de Mikkola en WRC.

C’était avec Audi, lors de l’East African Safari Rally. La voiture qui nous attend est celle-là même qu’il pilotait, une Audi 200 Groupe A. Ce modèle a bâti sa réputation sur sa capacité à transporter des cadres pressés d’une réunion à l’autre à grande vitesse sur l’Autobahn, mais il s’est trouvé tout aussi à l’aise sur les pistes de la savane africaine.


1987 Audi 200 Quattro C3

1987 Audi 200 Quattro C3 Groupe A au Kenya


« Passer du Groupe B au Groupe A fut un choc, mais je me suis efforcé de garder à l’esprit que mes concur rents étaient tout aussi sous-motorisés que moi. J’ai couru avec des voitures qui faisaient aussi bien 60 que 550 chevaux, et c’est toujours aussi difficile de gagner, raconte Hannu. Avec moins de puissance, le plus com pliqué c’est de maintenir le rythme. Avec une voiture puissante, on conduit à l’accélérateur. Quand ce n’est pas le cas, il faut trouver d’autres solutions. Si le frei nage est bien équilibré, il faut s’en servir pour placer la voiture.

Ça devient rapidement un réflexe. » C’est certainement grâce à ce genre d’astuces que Mikkola a remporté le championnat de Groupe B en 1983. Quelques années plus tard, en 1987, le Groupe B disparaissait après de trop nombreux décès, aussi bien chez les acteurs que chez les spectateurs. Audi avait déjà quitté la scène au moment où la FIA est intervenue pour remettre la sécurité au centre des préoccupations, si bien qu’il n’avait plus couru en rallye depuis plus d’un an avant de faire son retour en Groupe A.

Alors que le coupé Quattro avait déjà largement fait ses preuves, le choix de la berline 200 peut sembler incongru. Dieter Basche, ancien pilote et directeur d’Audi Sport à l’époque du Groupe A nous éclaire : « Nous avions des Quattro de Groupe A, mais elles n’étaient pas homologuées pour fonctionner avec un turbo. La 200 en revanche l’était, ce qui rendait la dé cision assez facile à prendre. Certes, c’était une grosse berline, mais tout le monde chez Audi l’adorait. Alors nous avons misé là-dessus.


1987 Audi 200 Quattro C3

 

1987 Audi 200 Quattro C3 Groupe A au Kenya


« Elle est plus grande et donc plus stable. Elle accélère moins fort, la direction est moins agitée, et elle est aus si plus rigide, ajoute Hannu. Très souvent, de bonnes proportions indiquent un bon comportement. J’ai de bons souvenirs de la 200. Je l’ai pilotée à trois reprises : en Grèce, où j’ai fini troisième ou quatrième, et en Fin lande, où j’ai fait une sortie de route… » « Nous avions accumulé beaucoup d’expérience en Groupe B, avec des voitures plus rapides et plus puis santes. Cela nous a facilité le boulot pour le Groupe A, raconte Dieter.

Nous étions convaincus que nous pouvions faire de la 200 une bonne voiture. Le véri table défi se trouvait, comme toujours, du côté de la suspension. Avec moins de puissance, il faut que la voiture ait un comportement impeccable pour être ra pide. L’apprentissage en Groupe B était exigeant, et notre équipe a grandi en conséquence.

D’une dou zaine de personnes dans les années 70, nous étions près de 200 chez Audi Sport en 1987, à travailler sur trois projets en parallèle. » De toutes les Audi 200 construites pour le rallye, celleci (qui a survécu au Safari 1987) est la seule à être restée la propriété de la marque. « Nous avions une voi ture pour gagner le Monte-Carlo et une pour gagner le Safari, précise Dieter.

Pour le Safari, les réglages des ressorts et des amortisseurs étaient spécifiques. Nous avions également renforcé la structure aux endroits stratégiques, mais il fallait respecter les formes d’ori gine. L’épaisseur était limitée également. Nous avons dû ajouter des renforts sur les ancrages de suspension, le berceau et la cloison pare-feu.

La voiture était re haussée de 20 ou 25 mm avec des cales et des ressorts plus longs (et progressifs à l’avant). À l’arrière, les triangles ont été renforcés. À l’avant, ce sont les jambes de suspension qui ont été repensées pour résister aux h a u t e s t e m p é r a t u r e s, a v e c u n e g é o m é t rie m o difi é e également. »


 1987 Audi 200 Quattro C3

 

1987 Audi 200 Quattro C3 Groupe A au Kenya


La nécessité de renforcer fut difficile à accepter pour Audi car elle supposait d’ajouter du poids. « Sur une voiture de route, on vise l’aérodynamisme et le gain de poids, mais pas ici ! explique Dieter. Habituellement, on cherche où renforcer d’un côté et où économiser des kilos de l’autre. Mais cette fois, l’objectif premier était de tenir la distance sans pépins.

Et il fallait garder la sécurité à l’esprit. Nous avons par exemple testé un arceau en aluminium, ce qui était bénéfique pour le centre de gravité mais pas pour la sécurité des occu pants… Alors nous sommes revenus à l’acier. » Audi était très sensible à ce sujet, surtout sachant le lourd tribut qu’avait payé le Groupe B.

Ajoutez à cela l’enjeu de l’endurance, et vous comprendrez mieux certains des équipements spécifiquement ajoutés à cette voiture en vue du Safari : « Elle est munie d’un parebuffle et d’un réservoir de 200 litres pour affronter les longues étapes.


1987 Audi 200 Quattro C3

 

1987 Audi 200 Quattro C3 Groupe A au Kenya


Elle dispose également de feux addi tionnels ; la nuit est vraiment sombre au Kenya. » Un cric renforcé s’est rajouté à la liste après que Hannu a crevé pendant les essais et s’est vu contraint de laisser Dieter changer la roue. « Le cric d’origine était inca pable de sortir la voiture de la boue ! » , s’amuse-t-il. Notre discussion a lieu à quelques encablures de la ville de Voi, sur une crête au sud des Monts Taita, une zone qui renferme l’une des rares forêts tropicales préservées de cet immense continent.

La vue est l’une des plus panoramiques d’Afrique et s’étend à l’infini sur la plaine. À l’horizon, les sommets enneigés du Kilimandjaro se détachent. Les pluies printanières sont en avance et la verdure émerge de partout, même si la couleur dominante reste le rouge de la terre. La faune est abondante. Sur le trajet depuis l’aérodrome, soit à peine quelques kilomètres, nous avons eu le temps d’apercevoir des éléphants, des antilopes, des zèbres et des buffles.

Il paraît même que des lions rôdent à la nuit tombée, tandis que les bergers Masaï défilent avec leurs vaches nomades. Rien en ces lieux n’évoque les monstres mécaniques des rallyes et leur ballet hurlant.


 1987 Audi 200 Quattro C3 and elephants

 

1987 Audi 200 Quattro C3 Groupe A au Kenya


Hannu interrompt notre rêverie : « Le Safari était l’un des événements les plus variés du calendrier WRC, à la fois rapide et long. La circulation locale est une difficul té, il y a beaucoup de poussière et de voitures en panne abandonnées un peu partout. Tant que vous étiez en tête, la fatigue se faisait oublier, mais si vous retombiez au classement, il fallait trouver la force de se battre. » « En 1987, moins de la moitié des participants a fini l’épreuve. Aucune étape ne fut annulée. Une rivière en crue ?

Il fallait la traverser ou la contourner, même si ça vous prenait sept heures. » C’était également l’un des plus piégeux. L’édition 1987 du Safari fut la première épreuve d’endurance à se courir sous les règles du Groupe A et Audi devint le second constructeur non-japonais à le remporter sur une période de neuf ans. Hannu avait déjà remporté l’épreuve en 1972 sur Ford Escort et c’était d’ailleurs le premier non-Africain à y parvenir. En 1987, il devançait nettement son coéquipier Walter Röhrl, plaçant Audi sur les deux premières marches du podium et offrant au constructeur sa première victoire depuis le Sanremo 1985. L’éprouvant rallye s’étendait sur sept jours et 4 000 kilomètres dont 1 541 kilomètres de spéciales, le tout sur des routes ouvertes mais non goudronnées. Hannu ravit rapidement la première place à Stig Blomqvist.

Le Suédois n’était pas au mieux après qu’un accident avant le départ l’avait contraint à prendre le volant d’un mulet. Comme souvent, les constructeurs japonais se disputaient également les avant-postes, en particulier Björn Waldegård et sa Toyota Supra. Hannu raconte : « Je pensais que Toyota serait notre principal concurrent, mais ils n’étaient pas plus ra pides que nous. J’étais surpris. Ils avaient beaucoup préparé le Safari, et l’avaient déjà remporté à plu sieurs reprises. » Première difficulté, un problème moteur fit perdre deux places à Hannu.

« Une durit de suralimentation s’était fendue. Nous l’avons rem placée et je suis reparti de plus belle. Nous avons subi deux crevaisons également, alors j’ai accéléré pour rattraper le temps perdu. Nous n’avions que 12 se condes de retard à Nairobi. Puis Toyota a eu des dif ficultés pour démonter un arbre de transmission et soudain j’étais de nouveau en tête. »


 1987 Audi 200 Quattro C3

 

1987 Audi 200 Quattro C3 Groupe A au Kenya


L’assistance n’était pas toujours à portée de main, du fait de la longueur des étapes. « Il m’est arrivé de re boucher un radiateur avec Arne, mon copilote. Nous avons aussi eu des soucis avec la suspension et l’élec tronique, mais nous avons réussi à tomber sur les équipes d’assistance au bon moment. Même avec de la chance, et nous en avons eu, les problèmes sont iné vitables.


EN BREF Audi 200 Quattro Groupe A 1987

Moteur 5 cylindres 2 144 cm3, 1 ACT, injection Bosch KE-Jetronic, turbocompresseur KKK K26 avec intercooler

Puissance 243 ch à 6 000 tr/min

Couple 330 Nm à 4 000 tr/ min

Transmission manuelle à 5 rapports, 4 roues motrices Direction crémaillère

Suspension AV McPherson, biellettes inférieures transversales, ressorts hélicoïdaux, amortisseurs télescopiques, barre antiroulis AR double triangulation, ressorts hélicoïdaux, amortisseurs télescopiques, barre antiroulis 

Freins AV et AR disques ventilés

Poids 1 400 kg

Vitesse maxi 210 km/h (env.) – 0 à 100 km/h 8’’0 (env.)


 1987 Audi 200 Quattro C3

1987 Audi 200 Quattro C3 Groupe A au Kenya


Dieter, qui était également du voyage en 1987 raconte : « J’étais en liaison radio avec les équipages, mais j’essayais surtout de me trouver sur les différents parcs d’assistance le plus souvent possible. Au moins une à deux fois par jour. Je me souviens d’un change ment d’amortisseurs (nous n’avions pas trouvé le moyen de leur faire tenir la distance) qui s’est déroulé bien plus vite que prévu, mais honnêtement, c’est une question de chance. Il suffisait qu’un caillou se coince au mauvais endroit et vous démontiez la voiture à la disqueuse plutôt qu’à la clé plate. »

Bien entendu, en tant que patron d’Audi Sport, Dieter ne pouvait pas assister à tous les rallyes. « Il fallait que je travaille au développement de la prochaine voiture. C’était Jörg Bensinger [l’homme à l’origine du système Quattro] qui décidait quand m’envoyer, et ça ne m’enchantait pas toujours. Malgré tout, ce fut une ex périence enrichissante d’être au cœur de la compéti tio n, s u r t o u t s u r u n t e r r ain a u s si diffi cile q u e le Kenya. » Nous quittons notre lodge par une route escarpée et rocailleuse à bord d’un convoi de Land Cruiser.

Au beau milieu de la plaine rouge que nous contemplions trône l’Audi 200. Hannu a pris de l’avance et a effectué quelques tours de reconnaissance. Le lieu a servi de spéciale sur la fin de l’édition 1987 du Safari, mais vu le nombre de pistes et la fréquence à laquelle elles se croisent, il est illusoire de demander à Hannu s’il en a le souvenir. Cela dit, ses repérages lui ont permis de se familiariser avec une portion de 12 kilomètres. Je vais d’ailleurs vite m’apercevoir que savoir où et quand tourner en l’absence de repères (autres que les arbres) est au moins aussi utile qu’un bon coup de volant.

Hannu est déjà installé, lorsque j’enjambe l’arceau. Il fait 32 °C dehors, beaucoup plus dans l’habitacle, et les combinaisons sont donc restées au vestiaire. Nous avons des casques en revanche, équipés de micros comme il se doit, et des harnais cinq points. Corollaire des tours de reconnaissance, il y a de la poussière rouge partout, de quoi laisser des traces de doigts sur chaque surface que l’on touche. « En course nous 

“VU LE NOMBRE DE PISTES ET LA FRÉQUENCE À LAQUELLE ELLES SE CROISENT, IL EST ILLUSOIRE DE DEMANDER À HANNU S’IL EN A LE SOUVENIR”

fermions toutes les fenêtres et laissions tourner la venti lation, pour que la pression soit plus élevée dedans que dehors » , explique-t-il avant de démarrer le cinq cylindres turbo. Dans un bourdonnement caractéristique, Hannu enclenche la première, et nous quittons l’herbe pour la piste. C’est alors qu’il accélère Le bourdonnement se transforme en grondement, ponctué de légers sifflements de turbo, mais dans un calme relatif. À mesure que nous prenons de la vitesse, les cahots de la piste me font le même effet que les turbulences en avion.

Je m’accroche au moment d’aborder une chicane improvisée entre deux arbres : Hannu ne lève pas le pied et se contente de faire un appel contre-appel et de jouer avec les dérobades du train arrière pour manœuvrer plutôt que d’utiliser le volant. J’ai déjà été passager d’une Audi Quattro de Groupe B et force est de constater que l’expérience présente est assez différente. La 200 de Groupe A ne développe que 243 chevaux contre 360 pour la voiture de Groupe B.

Et puis, il y a cette surface irrégulière, qui vous secoue à chaque changement de cap. « Sur le Safari, les conditions d’adhérence varient beaucoup d’une étape à l’autre, il faut adapter son pilo tage. Ici c’est meuble, presque comme si vous condui siez sur de la glace. Rien à voir avec l’asphalte » , explique Hannu, avant de plonger la voiture à gauche. Je vois la piste qui file droit vers l’horizon, tandis que derrière nous s’élève le même immense nuage de poussière que j’avais aperçu lorsque Hannu faisait ses repérages.

Il enchaîne les rapports jusqu’à atteindre des vitesses normalement réservées aux autoroutes allemandes, sauf qu’il n’y a pas de bitume en vue. La stabilité de la voiture est impressionnante, de même que le sentiment de solidité qui s’en dégage : les renforts font leur effet, même après trente ans. Hannu est comme un poisson dans l’eau ; il faut croire que l’âge n’atteint pas la compétence. Il me l’a confié avant le départ : « Je n’ai jamais réfléchi à mon pilotage, cela me vient comme ça, par le fruit de l’expérience » .

Avant que je n’aie eu le temps de le réaliser, voilà notre camp de base qui se dessine au loin, ce qui annonce la fin de notre boucle de douze kilomètres. Un dernier changement de rapport, une dernière chicane, et nous commençons à décélérer. Il fait chaud dans l’habitacle, mais le calme y règne. Nous avons parcouru ces plaines à des vitesses insensées et pourtant, à bord de la 200 avec Hannu aux commandes, tout semblait parfaitement sous contrôle. Comme l’a dit Dieter un peu plus tôt : « La philosophie chez Audi, c’était de créer une voiture facile à vivre.

Moins vous avez de mal à la maîtriser, plus vous avez de chances de rester concen tré sur de longues distances » . À l’évidence, ce sont des choses qui comptent quand vous avez 1 541 km de spéciales à couvrir, le couteau entre les dents. Audi est une marque réputée pour l’endurance de ses berlines, mais qui aurait pu imaginer qu’elles seraient autant à leur place sur les pistes africaines que sur les autoroutes allemandes ?

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